En hommage à mon ami Daniel Pavard
Un article du Time magazine intitulé "Qu'est-ce qu'un héros", évoque ce que sont ces héros du monde moderne "courageux et aussi généreux" et montre qu'on trouve parfois ces héros ou on ne les attend pas du tout. L'article cite les propos de Xavier Emmanuelli, Médecin anesthésiste réanimateur, l'un des co-fondateur de Médecins Sans
Frontières, ex-patron du SAMU social et auteur de l'ouvrage "Prélude à la symphonie du nouveau monde".
« J’en arrivai à cette femme toute jeune, éventrée par un éclat d’obus ; le diagnostic ne traîna pas : elle était perdue. » Xavier Emmanuelli voit alors son collègue Daniel Pavard faire quelque chose à quoi il ne s’attendait pas. Xavier Emmanuelli raconte ainsi : « Il vient se placer derrière la jeune Cambodgienne, referme sur elle ses bras, loge sa tête couverte de sueurs froides sur sa poitrine à lui ; en caressant ses cheveux, doucement il lui parle, alors qu’elle ne peut pas comprendre un mot de ce qu’il lui dit ; il lui parle doucement comme il la caresse, avec une délicatesse infinie […]. Image immobilisée et qui suspend le temps, lui qui enlace la douleur et la peur de cette jeune femme qu’il ne connaît pas, elle qui va mourir dans les bras d’un homme inconnu […]. Il est tout entier dans ce geste pour elle qu’il ne s’est pas commandé, qu’il n’a pas décidé ni réfléchi […]. Il a aboli toute la solitude de cette mourante et du même coup, je le sais à présent, la solitude humaine universelle dans son ensemble, pour un instant. Je sais aujourd’hui, mais il m’a fallu longtemps, que je venais de voir en acte un état de l’être humain qui s’est ouvert devant moi comme un mystère. Je venais de voir un geste de compassion. Mais je ne savais jusqu’alors ni la reconnaître ni lui donner son nom. ». (1)
C'était un héros par sa capacité à se dépasser et à montrer de manière aussi spontanée tant de bravoure et d'humanité pour transporter des hommes et des femmes à travers la vallée de la mort. Deux mois plus tard, le 15 novembre 1978, Daniel Pavard mourait à 32 ans d’un accident de moto en quittant le camp de réfugié de Nam Yao pour la dernière fois une fin d'après-midi. C'était son dernier jour de travail, la fin de son contrat, la fin d'une fabuleuse relation avec ses amis Hmongs et Yaos " Ces gens que j'aime totalement pour leurs richesses humaines et leur misère physique" disait-il dans une lettre de juillet 1978. Il savait qu'il devait partir pour lutter contre un attachement qui pouvait devenir un frein à sa soif de liberté. C'était un vrai motard qui voulait parcourir la vie et le monde à cent à l'heure. "Je ne veux pas d'une vie pépère, d'une carrière ou d'une situation" disait-il. Daniel a probablement cherché l'excitation de la vitesse pour panser la douleur d'une séparation avec des réfugiés Hmongs. Dans un long virage bordé de rizières dans laquelle travaillaient paisiblement hommes et éléphants, Daniel a fait un grand soleil en moto. Son dernier hommage à la vie dans le somptueux décor des montagnes bleutées du Laos. Quelques jours plus tard, je quittais Paris pour Bangkok, puis Nam Yao à la frontière du Laos ou j'ai pris le relais de Daniel comme médecin d'MSF. La douleur de la perte s'est mêlée à la colère d'avoir manqué un rendez-vous que j'attendais depuis longtemps.
Daniel Pavard était pour moi un être d'exception, une montagne de tendresse, de joie de vivre et de folies. Nous avons fait pas mal de choses ensembles : nos études de médecine, notre thèse de doctorat, des centaines de gardes de nuit pour gagner notre vie d'étudiant, des centaines de kilomètres de course à pieds dans le bois de boulogne, la visite sac à dos de contrées lointaines.... et des bétises de jeunes hommes non racontables ici. Daniel Pavard reste depuis toujours, ce qu'on nomme un Sponsor et Mentor dans le langage de la PNL.
Je réalise que j'ai choisi que j'ai choisi le 15 novembre 2012 pour écrire ces lignes.
Jean Luc Monsempès.
Commentaires